23/12/2007 19:59
Laure Bazantay, journaliste à "La Croix" et petite cousine de Julien Gracq : «Il était détaché des attributs de sa notoriété»
« Au mois de septembre dernier, quand nous avons sonné au portillon de sa maison sur la Loire, rue du Grenier, à Sel, Louis nous est apparu fragile. Vouté. Mais si son apparence trahissait sa fatigue physique, son esprit était intact. Toujours au fait de l’actualité mondiale – et sportive, c’était un grand amateur de rugby. Aucun temps de suspension entre nos questions et ses réponses. Sans doute pressentions-nous, ma sœur et moi, que ce moment était notre dernière occasion de le faire parler de lui.
Car son extrême réserve nous avait toujours intimidées depuis notre petite enfance. Mais il s’humanisait peu à peu surtout depuis la mort de Suzanne, sa sœur bien aimée, ne dédaignant pas de nous raconter des souvenirs d’enfance, de notre famille, du lycée ou du temps où prisonnier, il avait été évacué pour cause de maladie largement surestimée.
À l’évocation de ses romans “de jeunesse”, en particulier Le Rivage des Syrtes, il était critique, jugeant son style d’alors baroque, en pleine correspondance avec une personnalité romantique dépassée. Le roman n’avait d’ailleurs plus d’intérêt pour lui. Ses goûts le portaient désormais vers l’essai, notamment politique (il portait peu d’estime à la vie publique d’aujourd’hui), et les textes courts.
Nous lui avons demandé s’il écrivait encore. Il nous a répondu que les mots lui manquaient parfois, à lui qui avait un tel amour de la précision. Et l’envie aussi lui manquait. À propos de son succès, il a souri se souvenant de la fierté et la constante confiance que lui accordaient ses parents. Fidèle à la ligne tracée par son pamphlet La Littérature à l’estomac, il était détaché des attributs de sa notoriété, conscient de l’admiration qui lui était vouée et sans fausse modestie.
Avec philosophie, il prenait ce que la vie lui offrait : ses promenades quotidiennes le long de la Loire étaient depuis peu remplacées par des tours dans son jardin ; il acceptait naturellement les visites, tout comme il répondait scrupuleusement aux lettres qu’il recevait. Sans nostalgie ni regret, il disait que sa vie arrivait à son terme : “Je ne dis plus ‘tu’ à personne.” »
vendredi 4 janvier 2008
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