jeudi 7 février 2008

ces écrivains que l'on adule sans les lire, comme feu Julien Gracq dans l'hebdo de Lausanne

L'Hebdo; 24.01.2008; numéro 4; page 71

Culture

Humeur

Lovay et «La Boum»

«C'était bien, Metal Hurlant? Je veux dire, vraiment bien?» En entendant des collègues disserter sur leurs passions adolescentes, j'ai compris qu'on avait tous le même problème. Comment savoir si ce qu'on aimait passionnément vaut toujours la peine d'être aimé sans se laisser attendrir par la nostalgie? Comment brûler ses idoles? Je n'ai pas eu ce problème avec La Boum, qui m'est vite apparue comme un chef-d'œuvre moyen du cinéma. J'ai ce problème avec l'écrivain Jean-Marc Lovay.

Je l'aimais il y a vingt ans, je l'aime aujourd'hui, et c'est un mystère pour moi. Je l'aimais pour son intransigeance, son sens — supposé — de la liberté artistique, son personnage de sauvage alpin, la poésie invraisemblable de ses lignes. Ses livres étaient illisibles et je m'en délectais. Avec Artaud, j'en faisais les icônes de ma propre quête de liberté. En planant à mille lieues des écrivains qui faisaient l'aumône d'un roman résumable aux lecteurs, en un snobisme littéraire involontaire, il montrait la voie. Aujourd'hui, Lovay fête ses 60 ans, publie Réverbération (Zoé), et rien n'a changé: ses livres sont toujours illisibles, il est toujours aussi maigre et fait partie de ces écrivains que l'on adule sans les lire, comme feu Julien Gracq — les bonnes consciences de la littérature contemporaine. Mais il me fascine autant. Est-ce par nostalgie de ce que j'étais? Est-il objectivement génial?

Je sais: Lovay, c'est comme le chocolat noir ou Mozart — ma drogue dure d'obsédée des mots. Il ne faut pas en abuser mais sa seule existence permet de vivre le reste du temps dans la tiédeur des romans lisibles. J'ai besoin qu'il existe un diamant noir comme lui, hors-norme, pour vivre dans la norme et prendre des bouffées de hors-norme, parfois. Toujours, c'est épuisant. Merci, Lovay. |



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