mardi 12 octobre 2010

Le Figaro ; Julien Gracq lègue ses manuscrits à la BNF

Julien Gracq lègue
ses manuscrits à la BNF

Astrid de Vergnette-Larminat
02/04/2008 | Mise à jour : 10:55

Parmi les textes et carnets autographes de l'écrivain, de nombreux inédits.

Suite à l'ouverture du testament de Julien Gracq, la Bibliothèque nationale de France a annoncé hier, par la voix de son président Bruno Racine, que l'écrivain lui avait légué la quasi-totalité de ses manuscrits. En réalité, ça n'était pas une surprise puisque c'est la BNF elle-même qui avait contacté Julien Gracq en ce sens, il y a quelques années. L'auteur du Rivage des Syrtes, en accord avec ses proches notamment Bernhild Boié, l'éditrice de ses œuvres complètes dans la Pléiade et son exécuteur testamentaire avait alors répondu favorablement à cette proposition.
Ce legs exceptionnel comprend des manuscrits autographes d'une vingtaine de ses œuvres. Il s'agit soit de dossiers de travail complets qui rendent compte de toutes les étapes de l'élaboration d'un ouvrage, soit de textes définitifs écrits de la main même de l'auteur.
Mais ce fonds comprend aussi des manuscrits inédits, explique Marie-Odile Germain, conservateur en chef du département des manuscrits. «Il y a une ou deux œuvres dont on n'avait jamais entendu parler», affirme-t-elle.

Des fragments «réservés de publication»

Il y a aussi les trente-cinq carnets de pensées que Gracq consignait au jour le jour. Il en avait publié un certain nombre. Mais une quantité de ces fragments sont inédits. Selon la volonté de l'auteur, ils ne pourront pas être divulgués pendant vingt ans. «On a du mal à imaginer que ce soit des textes autobiographiques, remarque Marie-Odile Germain, mais il pourrait s'agir de notes plus personnelles que ce qu'il avait l'habitude de publier.» S'agissant de ces fragments «réservés de publication», il est peu vraisemblable qu'ils seront consultables à la BNF. C'est à Bernhild Boié, chargée d'exercer le droit moral et le droit de divulgation sur les œuvres de Julien Gracq, que revient toute décision à ce sujet.
Pour le reste des manuscrits, ils seront déposés à la BNF sans doute avant l'été. Les chercheurs pourront vraisemblablement les consulter à partir de l'automne. «Afin que le public puisse voir l'écriture de Gracq, quelques pièces seront montrées dans l'une de nos expositions temporaires», assure Marie-Odile Germain. Il faudra attendre, en revanche, que les originaux soient numérisés pour pouvoir les consulter en accès direct à la BNF.
Comme le voulait Julien Gracq, qui vivait retiré dans sa ville natale de Saint-Florent-le-Vieil en Anjou, une copie numérique de l'intégralité de ce legs sera transmise à la bibliothèque universitaire d'Angers qui abrite un fonds de documentation sur l'enfant du pays devenu un géant littéraire.

Ouest france Caen décembre 2007 : Julien Gracq, le prof de géographie à Caen

Julien Gracq, le prof de géographie à Caen

vendredi 28 décembre 2007

L'écrivain, dont les obsèques ont eu lieu hier, a enseigné de 1942 à 1946 à l'université de Caen. Ses « Carnets du grand chemin » évoquent ses années normandes.

« Pas âme qui vive dans les décombres, au creux de cette nuit de lune. La longue rue Saint-Jean, dont la tranchée du moins m'eût servi de guide, avait disparu sans même laisser de cicatrice, parce que, un peu sinueuse et détruite en totalité, on avait trouvé plus simple de dégager au bouteur, pour le passage des convois à travers ses ruines, une percée rectiligne... Au-delà reparaissaient des pans encore dressés, et bientôt quelques maisons habitées ; sur les hauteurs de Saint-Martin, presque intactes, je retrouvai ma maison à peine égratignée, comme une petite arche échouée sur la colline après le retrait des eaux. »L'auteur de ces lignes est Julien Gracq. Comme celles décrivant La Hague, on les trouve dans « Les Carnets du grand chemin », recueil de notes et d'essais mûri lentement et savamment composite, publié en 1992 chez José Corti, son éditeur de toujours. On est en octobre 1944. Julien Gracq - Louis Poirier, de son vrai nom - est de retour à Caen, où depuis novembre 1942 il enseigne la géographie à l'université. Assistant, il avait alors accepté l'idée d'y commencer une thèse de géographie régionale : « La morphologie de la Basse-Normandie ».Fin mai 1944, le professeur rejoint à vélo son village de Saint-Florent-le-Vieil, dans le Maine-et-Loire, où il fut enterré hier après-midi. En octobre, il vient reprendre son poste, au terme d'un circuit compliqué en autorail et camion pour découvrir Caen en ruines, une faculté des lettres détruite. Les cours reprennent, sans cartes ni livres, à l'école normale, rue Caponière, préservée des bombardements, comme sa chambre meublée de la place Saint-Martin.Aux Rencontres pour lire« On nous présentait Julien Gracq comme un monsieur inaccessible. C'est le contraire. Discret, oui. » François de Cornière, l'homme des « Rencontres pour lire » à Caen, lui a consacré une Rencontre en 1993. Cette réputation de distance avait incité à quelques précautions. « Comme il acceptait de nous voir, avec Loïc Faucheux (le régisseur des Rencontres), on avait pris de nombreuses photos de son ancien quartier de Caen. Pour montrer patte blanche en quelque sorte... »Anthony Vérove, un passionné de Julien Gracq aujourd'hui professeur de français à Agon-Coutainville, était du voyage avec la comédienne Claude Alexis et Joël Masson, les lecteurs de cette Rencontre. « Julien Gracq a commenté toutes les photos, retrouvé celle de la maison de son meublé. Finalement, on a passé tout un après-midi à discuter, à boire du vin blanc, qu'il est allé chercher dans sa cave. C'était un homme d'une grande simplicité. Je savais qu'il ne se déplacerait pas. Je lui ai envoyé un enregistrement de la Rencontre pour lire consacrée à ses « Carnets ». Il nous a répondu par une belle lettre, publiée dans le livre édité pour les 15 ans des Rencontres, en 1995. »Xavier ALEXANDRE.