Au bonheur des dames
par Delphine Peras,
Lourdes, lentes... et La Mécanique des femmes magnifient les femmes, toutes les femmes! Deux odes à leurs désirs... fort peu convenables.
Il fallait vraiment tout le talent d'André Hardellet (1911-1974) pour accomplir pareil exploit: rendre ses lecteurs fous de désir pour une dénommée Germaine - ou plus exactement «Maimaine». L'héroïne de son roman Lourdes, lentes..., publié en 1969, ne manquait, il est vrai, pas d'arguments. Dès le début du livre, cette opulente bonne de 23 ans, vulgaire comme le sexe, aimante comme une mère, s'offre au narrateur du roman. Celui-ci, prénommé Stève, n'a que 12 ans. Il ne se remettra jamais de cette initiation à la volupté.
Les ligues de protection de l'enfance mirent deux ans à se réveiller. André Hardellet, écrivain pour happy few que ne protégeait aucune gloire, dut lui-même se dénoncer à la justice comme l'auteur du sulfureux ouvrage, signé du pseudonyme transparent de Stève Masson (héros d'un de ses précédents romans). Inculpé d'outrage aux bonnes moeurs, comme avant lui Flaubert ou Baudelaire, l'auteur de Lourdes, lentes... se retrouve, en mai 1973, au banc des accusés. Le président du tribunal se distingue en lui lançant, alors que l'écrivain met les mains dans ses poches pour se donner une contenance: «Monsieur Hardellet, arrêtez de vous tripoter!» «J'eus l'impression de recevoir un coup de poing, tandis qu'André, le visage cramoisi, retirait précipitamment les mains de ses poches, et restait immobile, les bras ballants», se souvient Régine Deforges (1), l'éditrice de Lourdes, lentes... C'est l'auteur du merveilleux Bal chez Temporel, mis en musique par Guy Béart, que le magistrat se permet ainsi d'humilier...
A la barre, les amis d'Hardellet n'ont aucun mal à démontrer que ce livre érotique est en réalité un livre poétique. «La femme y est un paysage: elle est saveur, touffeur, odeur», dit Hubert Juin. Le cunnilingus devient, dans ces pages somptueuses, une communion avec la terre-mère, un retour à l'origine du monde. Le soutien de Georges Brassens et Julien Gracq résume assez bien les deux sources, l'une gauloise et faubourienne, l'autre raffinée et surréalisante, de l'inspiration d'Hardellet. Mais son meilleur avocat est sans doute Gérard de Nerval: car, beaucoup plus qu'à une Emmanuelle quelconque, Lourdes, lentes..., avec sa construction faussement bancale, ses va-et-vient entre passé et présent, rêve et réalité, fait penser à Sylvie. Une Sylvie aux seins lourds et aux orgasmes crus, dont la mort dans un accident de la route laisse le héros - double fantasmatique d'Hardellet - inconsolable. Devenu adulte, il se grise d'aventures sans lendemain, avec des hôtesses de l'air anglaises, dans des maisons de rendez-vous psychédéliques où l'on fait l'amour par machines interposées. Pourtant, le temps perdu est finalement retrouvé, dans un dernier chapitre aussi onirique que déchirant, où Stève tombe en rêve dans les bras de celle qui est restée la femme de sa vie. Dans la réalité, blessé par sa condamnation en justice et vaincu par la maladie, André Hardellet, à 63 ans, finit par rejoindre Germaine, un jour de 1974, dans le vert paradis de l'au-delà.
(1) Dans un livre de souvenirs à paraître en septembre chez Fayard.
Lourdes, lentes... par André Hardellet. Gallimard/L'Imaginaire, 140 p., 7,40 euros.
mercredi 13 août 2008
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