mardi 10 mars 2009

«La vérité, c'est que je redoute le livre de trop.»

L'éditorial de François Busnel
Le désir d'être publié


Lire, mars 2009


Tout change, paraît-il. Non, il y a quelque chose qui ne change pas, ici, en France, quelque chose qui perdure, quelque chose qui fait toujours rêver, quelque chose que l'on érige en Graal et pour quoi l'on peut se battre toute une vie: le désir d'être publié. En France, tout le monde écrit. Voici un pays où l'on dénombre plus d'écrivains que de lecteurs. Où le livre est encore considéré comme un ami. C'est plutôt une bonne nouvelle! Le problème, c'est que tout le monde entend bien être édité...

Or, disons-le au risque de déplaire, ce n'est pas le livre qui fait l'écrivain. Pas plus que l'habit ne fait le moine. Etre édité est un rêve. Comme tous les rêves, il faut donc le réaliser. Ne jamais renoncer. Tout entreprendre pour qu'un manuscrit de-vienne, le plus tôt possible, un véritable livre. Soit. Mais savoir, aussi, quels obstacles il faudra surmonter, à quels dangers il faudra faire face. Savoir, surtout, qu'une fois publié un livre est soumis aux caprices d'un sort dont nul ne peut prédire l'issue. Un livre, c'est une coque de noix lancée en pleine mer: il lui arrive ce que les flots et les vents décident, jamais ce que l'armateur ou le skippeur imaginaient. Je ne cherche pas, en écrivant cela, à désespérer les écrivains en herbe. Mais à les préparer à ce qui les attend. L'écrivain doit avant tout faire sienne la maxime de Marc Aurèle: «Il y a des choses qui dépendent de nous et d'autres qui n'en dépendent point.» Ce qui dépend de nous, c'est de tout faire pour être édité; ce qui ne dépend pas de nous, c'est d'avoir prise sur l'accueil qui sera fait à nos livres.

Le désir d'être publié ferait sans doute le miel de ceux qui font profession d'observer les névroses de quiconque bouge encore (pourquoi diable, en effet, souhaite-t-on à tout prix transformer un manuscrit en livre?). Mais Lire n'est pas un magazine de psychologie; nous nous contenterons donc de vous offrir les conseils que nous croyons les plus justes, ceux que nous dispensons aux nombreux auteurs de romans, journaux, écrits intimes ou sagas qui, chaque jour, nous envoient leurs trésors avec l'espoir que nous les transmettrons à un éditeur. A ce propos, s'il vous plaît, chers lecteurs, chers abonnés, ne nous adressez plus vos manuscrits! Oh, ce n'est pas que nous ne nous y intéressons pas, mais, voilà, il faut vous dire l'horrible vérité: nous ne sommes pas éditeurs. Nous sommes journalistes. Notre métier consiste à lire ce qui a déjà été publié, pas à faire publier ce qui doit l'être. Et, non, je vous l'assure, nous ne connaissons pas un éditeur qui... Le mélange des genres (journaliste-écrivain-éditeur-membre de jury...), très peu pour nous. A chacun son métier.

Le désir d'être publié, donc. Il revient, plus fort encore, à chaque rentrée littéraire. Un petit tour en librairie suffit à se convaincre que oui, pourquoi pas moi, au milieu de tant d'ouvrages, de tant de nouveautés... Oui, en effet. Mais les tables des libraires sont, pour qui vient d'achever son oeuvre dans la fièvre, un véritable trompe-l'oeil. Du manuscrit à la librairie, le parcours est long, sinueux, rempli d'embûches et soumis au hasard, chargé d'espoir et lourd de soupirs.

La plupart du temps, tout commence ainsi: «J'ai écrit un livre. Une sorte de roman. Et je me demandais comment faire...» Les mots de Truffaut dits par Charles Denner dans L'homme qui aimait les femmes. «Eh bien si c'est un roman, vous pouvez le proposer aux éditeurs. Mais ne vous faites pas d'illusions. Si vous n'avez pas une rubrique dans un journal, si vous n'êtes pas pistonné, c'est la croix et la bannière pour faire éditer un premier livre. Mais vous pouvez toujours essayer», lui répond le médecin de province sagement assis devant sa rangée de Pléiades en exhibant son propre ouvrage, «publié à compte d'auteur». Denner a raison et le médecin a tort. Il faut toujours se faire des illusions. Le piston n'est pas, n'est plus, la règle d'or pour se faire éditer. Le croire, c'est s'enfermer dans la spirale de l'aigreur. Un bon manuscrit trouve sa voie. Toujours. C'est long. C'est lent. Cela arrive après mille refus. Mais ça arrive.

«Publier, c'est l'art d'accommoder les restes», disait Paul Valéry. Amertume ou moquerie? Les deux, sans doute. Les apprentis écrivains devraient donc lire Marc Aurèle, Paul Valéry, et ce numéro de Lire. Ils feraient bien d'ajouter à ce programme le très beau livre que Jérôme Garcin fait paraître au Mercure de France: une plongée chez les écrivains. On découvre, dans Les livres ont un visage (240 p., 17 euros), l'intimité d'une oeuvre, les coulisses de la création. C'est lumineux. Plein d'espoir. Et puis, surtout, il y a ce scoop... Rendant visite à Julien Gracq et s'étonnant que l'un des plus grands écrivains du XXe siècle ne publie plus depuis des années, Jérôme Garcin s'entend répondre ceci, que devraient méditer tous ceux qui écrivent et tous ceux qui désirent être publiés: «La vérité, c'est que je redoute le livre de trop.» Imparable.

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