vendredi 28 décembre 2007
Julien Gracq, le prof de géographie à Caen
L'écrivain, dont les obsèques ont eu lieu hier, a enseigné de 1942 à 1946 à l'université de Caen. Ses « Carnets du grand chemin » évoquent ses années normandes.
« Pas âme qui vive dans les décombres, au creux de cette nuit de lune. La longue rue Saint-Jean, dont la tranchée du moins m'eût servi de guide, avait disparu sans même laisser de cicatrice, parce que, un peu sinueuse et détruite en totalité, on avait trouvé plus simple de dégager au bouteur, pour le passage des convois à travers ses ruines, une percée rectiligne... Au-delà reparaissaient des pans encore dressés, et bientôt quelques maisons habitées ; sur les hauteurs de Saint-Martin, presque intactes, je retrouvai ma maison à peine égratignée, comme une petite arche échouée sur la colline après le retrait des eaux. »
L'auteur de ces lignes est Julien Gracq. Comme celles décrivant La Hague, on les trouve dans « Les Carnets du grand chemin », recueil de notes et d'essais mûri lentement et savamment composite, publié en 1992 chez José Corti, son éditeur de toujours. On est en octobre 1944. Julien Gracq - Louis Poirier, de son vrai nom - est de retour à Caen, où depuis novembre 1942 il enseigne la géographie à l'université. Assistant, il avait alors accepté l'idée d'y commencer une thèse de géographie régionale : « La morphologie de la Basse-Normandie ».
Fin mai 1944, le professeur rejoint à vélo son village de Saint-Florent-le-Vieil, dans le Maine-et-Loire, où il fut enterré hier après-midi. En octobre, il vient reprendre son poste, au terme d'un circuit compliqué en autorail et camion pour découvrir Caen en ruines, une faculté des lettres détruite. Les cours reprennent, sans cartes ni livres, à l'école normale, rue Caponière, préservée des bombardements, comme sa chambre meublée de la place Saint-Martin.
Aux Rencontres pour lire
« On nous présentait Julien Gracq comme un monsieur inaccessible. C'est le contraire. Discret, oui. » François de Cornière, l'homme des « Rencontres pour lire » à Caen, lui a consacré une Rencontre en 1993. Cette réputation de distance avait incité à quelques précautions. « Comme il acceptait de nous voir, avec Loïc Faucheux (le régisseur des Rencontres), on avait pris de nombreuses photos de son ancien quartier de Caen. Pour montrer patte blanche en quelque sorte... »
Anthony Vérove, un passionné de Julien Gracq aujourd'hui professeur de français à Agon-Coutainville, était du voyage avec la comédienne Claude Alexis et Joël Masson, les lecteurs de cette Rencontre. « Julien Gracq a commenté toutes les photos, retrouvé celle de la maison de son meublé. Finalement, on a passé tout un après-midi à discuter, à boire du vin blanc, qu'il est allé chercher dans sa cave. C'était un homme d'une grande simplicité. Je savais qu'il ne se déplacerait pas. Je lui ai envoyé un enregistrement de la Rencontre pour lire consacrée à ses « Carnets ». Il nous a répondu par une belle lettre, publiée dans le livre édité pour les 15 ans des Rencontres, en 1995. »
Xavier ALEXANDRE.
lundi 14 janvier 2008
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