Moins d'un an après sa mort, les langues se délient. Un nouveau visage du grand écrivain émerge, moins «coincé», mais tout aussi fascinant.
Du vivant de Julien Gracq, l'écrivain Pierre Michon - est-ce orgueil ou timidité? - n'avait jamais osé frapper à la porte de sa demeure. Moins d'un an après sa mort, à l'âge de 97 ans, c'est pourtant lui qui a pris l'initiative du bel hommage rendu à l'auteur du Rivage des Syrtes l'autre semaine, à Guéret, lors des Rencontres de Chaminadour, organisées par Hugues Bachelot. Un colloque tout sauf guindé, d'où la statue du commandeur des lettres françaises est paradoxalement sortie rajeunie, dégagée de la gangue de révérence qui l'enserrait.
Universitaires, écrivains ou confidents se sont en effet «lâchés», brossant un portrait non conformiste de cette icône des classes de khâgne. Car Julien Gracq (né Louis Poirier) n'était pas seulement un petit monsieur en pardessus et cache-nez marchant dans les labours glacés des Mauges: il fut aussi, comme l'a souligné Pierre Michon, ce drôle de dandy à casquette blanche, la clope au bec, surpris un jour par l'objectif du photographe Lartigue... «Juju», nourri au lait des provocations surréalistes et à la logomachie du PCF, aurait-il réprimé un petit côté voyou? N'exagérons rien. Mais, assurément, il se montra plus fin stratège qu'on ne l'imagine. Après avoir bénéficié de l'adoubement d'André Breton, cet avisé Angevin sut fasciner par son dédain du microcosme et son enterrement volontaire dans son «cul-de-basse-fosse» provincial. Ce qui lui valut le sobriquet cruel, décerné par Jean-Edern Hallier, de «Mistinguett de la solitude».
Le sage ne fut pas un célibataire endurci
Ecrivain du «moi», l'ermite de Saint-Florent-le-Vieil n'était certes pas du genre à s'épancher. Encore moins à étaler «la vie sexuelle de Julien G.». Il s'est cependant plus dévoilé qu'on a pu le croire. A entendre les spécialistes réunis à Guéret, son écriture, d'une netteté implacable, n'est pas exempte d'un érotisme latent, diffus, crypté. Nul besoin d'être psychanalyste pour ressentir la charge sexuelle de ses paysages - ainsi «l'Evre» aux «eaux étroites», remontée avec délices jusqu'à sa source... Contrairement à sa réputation, le sage retraité de l'Education nationale - fier d'avoir usé quatre 2 CV dans son existence - ne fut d'ailleurs pas un célibataire endurci. On ignore qui fut l' «étrangère» célébrée dans l'une de ses proses énigmatiques. On en sait un peu plus sur la très surréalisante Nora Mitrani, sa compagne dans les années 1950. On peut reconnaître les traits de cette belle brune dans les lithographies pornographiques signées de Hans Bellmer, dont elle partagea aussi la vie!
Ultime présence féminine auprès du grand écrivain, non plus muse mais gardienne du temple: Bernhild Boie, une chercheuse allemande, qui a établi l'édition de ses oeuvres dans la Pléiade et dont il a fait son exécutrice testamentaire. Car l'auteur des Lettrines a laissé des milliers de pages inédites, déposées à la BNF le 16 de ce mois. Ces textes, sous embargo, il faudra attendre en principe l'an 2028 pour les lire. Pierre Michon s'en pourlèche déjà les babines: «Je ne serais pas surpris, glisse l'auteur de La Grande Beune, qu'on y trouve des vacheries sur ses contemporains. Et même des textes érotiques...»
jeudi 9 octobre 2008
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire