Chez Garcin
Par Michel Audétat
Il publie «Les livres ont un visage» où on le voit s’introduire chez les écrivains qu’il admire: l’ouvrage étant remarquable, nous sommes allés rendre visite à ce visiteur.
Un jour, chez l’écrivain Julian Barnes qui l’avait laissé seul le temps d’aller faire quelques courses, Jérôme Garcin en profita pour explorer sa maison londonienne de la cave au grenier, ouvrant toutes les portes, s’abandonnant ainsi aux délices un peu coupables de l’espionnage littéraire. Jérôme Garcin pense qu’on peut lire dans la maison d’un écrivain comme dans un livre. De ses visites, il a tiré une galerie de magnifiques portraits. Un ouvrage qui les rassemble vient de paraître: Les livres ont un visage.
A Paris, Jérôme Garcin habite une maison charmante et bien dissimulée à laquelle on accède en gravissant la rue des Martyrs: stendhalien jusque dans le choix de son domicile, il vit sur cette pente du IXe arrondissement qui surplombe la capitale. Comme lui-même n’hésite pas à satisfaire sa «curiosité indiscrète et bienveillante» en s’introduisant chez les auteurs qu’il admire, quoi de plus naturel que d’aller rendre visite à ce visiteur? Bien sûr, l’idéal aurait été d’appliquer sa méthode, espionner son bureau ou sa cuisine, fureter dans sa corbeille à papiers, mais Jérôme Garcin n’avait malheureusement aucune course à faire ce matin-là...
«Avec ses cours secrètes et ses jardins, ce quartier est un petit bout de paradis qu’on appelait autrefois la Nouvelle Athènes», raconte Jérôme Garcin qui s’est installé ici en 1985. «J’ai basculé sur la rive droite après avoir rencontré ma femme Anne-Marie.» Cette rencontre avec la comédienne Anne-Marie Philipe, fille de Gérard Philipe, Jérôme Garcin l’a évoquée avec beaucoup de délicatesse dans son très beau Théâtre intime (Gallimard, 2003). Comme elle, il est un enfant de la rive gauche. Son Paris, ce fut d’abord cette république des lettres où son père occupait un poste de directeur éditorial aux Presses universitaires de France.
Hippomanie galopante. Nul besoin de s’appeler Sherlock Holmes pour deviner, en pénétrant dans son salon aux teintes crémeuses, l’obsession qui habite cet homme. Des chevaux partout: sculptés, peints, dessinés, photographiés, à bascule... On dirait un temple dédié aux divinités équestres. «C’est pareil dans mon bureau du Nouvel Obs», précise-t-il, sans doute habitué à ce que le visiteur laisse transparaître son étonnement devant cette hippomanie carabinée. «Mais ce n’est rien par rapport à ce qu’abrite notre maison en Normandie...»
A Paris, Jérôme Garcin dirige le service culturel du Nouvel Observateur, anime sur France Inter l’émission Le masque et la plume et pratique le métier de critique littéraire en s’efforçant de ne jamais devenir cet «expert en objets aimés» que raillait Julien Gracq. Puis, le vendredi soir, qu’il vente ou qu’il pleuve, il laisse Paris derrière lui et rejoint le verdoyant pays d’Auge où l’attendent ses chevaux. Aux bavardages de la vie parisienne succèdent les conversations silencieuses avec les équidés. Ses livres, Jérôme Garcin les médite longuement en selle, à travers les bocages: «Avant d’écrire, j’ai besoin de passer par cette étrange situation entre ciel et terre qu’offre l’altitude équestre.»
Le 21 avril 1973, son père meurt en chutant de cheval. Sur ce deuil s’est construite sa passion: de son commerce avec l’animal, le cavalier va tirer une morale qui contient aussi un art de vivre. On observe Jérôme Garcin assis dans son salon, le buste droit, les jambes élégamment croisées: il émane de sa personne le même délié, le même mélange de fermeté et de souplesse que l’on trouve dans son écriture.
C’est en Normandie qu’il a écrit les textes réunis dans Les livres ont un visage. Jérôme Garcin y arpente la province d’un pas tranquille, se promène à Saint-Florent-le-Vieil en compagnie de Julien Gracq, suit Jean-Marie Le Clézio sur des falaises bretonnes, visite Jules Roy à Vézelay et n’omet pas d’inscrire la Suisse romande sur la carte de ses pérégrinations: un texte décrit la mue du Jacques Chessex bachique en «oblat de Ropraz»; un autre, très émouvant, mène à La Chaux-de-Fonds où Jérôme Garcin rencontre Zouc.
Le métier de survivre. La confrontation avec la souffrance ou la vieillesse sont ici des thèmes récurrents. On assiste au naufrage de François Nourissier. On découvre un Sempé mélancolique, accroché à ses béquilles. Et l’on admire le tact frotté de tendresse avec lequel Jérôme Garcin restitue, sans l’adoucir, le drame de ces écrivains aux prises avec le métier de vivre ou de survivre: «Les vieilles personnes m’émeuvent terriblement parce que je les vois comme des miraculés. Je vis depuis mon enfance entouré de morts jeunes. A cause de la mort de mon frère jumeau Olivier, j’ai eu du mal à comprendre qu’un enfant pouvait vivre au-delà de 6 ans. Moi-même, quand j’ai dépassé les 45 ans, l’âge auquel mon père est mort, ça m’est apparu comme un miracle.»
Même si l’on y croise aussi le jeune Jonathan Littell dont on peut encore tout attendre, on retient surtout du livre la petite musique élégiaque qui s’en échappe. Un monde s’éteint, celui qu’habitaient des monstres sacrés, ces hautes figures de la littérature qu’ont pu incarner un René Char ou un Julien Gracq, et Jérôme Garcin en capture les dernières lueurs: «Quand je vais voir ces écrivains âgés, fatigués, conscients d’être au bout leur œuvre, j’éprouve aussi le besoin de recueillir ce qui me semble être des paroles testamentaires.» Jérôme Garcin s’interrompt un instant avant de poursuivre: «Au fond, j’ai simplement envie d’être là. Pourquoi? Parce qu’il m’a toujours manqué de ne pouvoir être présent quand mon père est mort? Je ne sais pas... Peut-être...»
Les livres ont un visage. De Jérôme Garcin. Mercure de France, 234 p.
jeudi 29 janvier 2009
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