Venons-en à votre lecture passionnée du roman de Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes. Que vous apprend-il sur le paysage ? Vous aide-t-il à mieux voir et analyser le paysage, et en particulier le paysage urbain ?
Y. L : Je tiens ce roman pour le plus grand roman géopolitique. Il est vrai que son auteur, Louis Poirier de son vrai nom, est géographe. Il a enseigné la géographie au lycée Claude Bernard à Paris, avant de prendre sa retraite. Avant la guerre, il a publié deux études dans les Annales de géographie : "Bocage et plaine dans le sud de l’Anjou" et "Essai sur la morphologie de l’Anjou méridional" ; mais ce n’est pas l’observation de terrain qui le mobilise le plus. Sa rencontre avec André Breton est décisive, et lui permet de voir autrement le réel et le surréel qui l’entoure. Il a été l’assistant de Jean Dresch à Caen durant la guerre. Du reste, il aurait pu faire une carrière universitaire : il avait commencé une thèse sur la Russie qui a été compromise par le pacte germano soviétique, qu’il n’a jamais vraiment digéré ! Et puis l’attrait de la littérature aidant... Il note dans Lettrines : "Je n’oublie jamais un paysage que j’ai traversé." A le lire, on ne peut que le croire tant les descriptions sont fines, subtiles, charnelles. Bien sûr, il y a La Forme d’une ville, sur Nantes, qu’il publie en 1985 et où il constate que, si la ville exprime l’esprit républicain, les campagnes n’oublient pas la guerre de Vendée... Personnellement je reste subjugué par Le Rivage des Syrtes, par le territoire contrôlé par la ville d’Orsenna, par l’ampleur et l’universalité du drame politique que ce roman exprime. Au château d’Argol était un texte "fantastique" qui ne peut servir de référence pour la compréhension de l’œuvre de Julien Gracq. Ce dernier ne réécrivait pas chaque fois le même livre ! Le Rivage des Syrtes résulte d’un collage, bien sûr Orsenna pourrait être Venise ou Florence, c’est à dire une grande ville qui contrôle un vaste territoire au delà duquel se trouve un Etat rival qui le menace en permanence sans donner cette impression. Dans les "paysages" qu’il décrit on peut s’amuser à retrouver les "modèles", ici la côte bretonne, là le Panthéon, etc. Le mot commun "syrtes" désigne des bancs de sable mouvant au bord de la mer, d’où l’importance dans ce roman des limites, des bords, des entredeux. C’est le tragique de la Seconde Guerre mondiale et du nazisme qui se trouve posé, le destin du monde n’eût pas été le même si l’issue du conflit avait été en faveur des nazis... Julien Gracq m’a confié, un jour, que la lecture du roman de Ernst Jünger (écrivain qu’il admire) Sur les falaises de marbre l’a profondément influencé.
lundi 16 juin 2008
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